La violence verbale en question

Publié le par Crystal

Cette reflexion ressort d'une discussion que j'ai eu avec mon frère l'autre soir. Nous nous étions engagés à examiner la différence entre la violence physique et la violence verbale.

Pour de très bonnes raisons, il semble penser qu'il n'y a pas de réelle différence entre ces deux formes de violence. Dans un cas comme dans l'autre, on souffre de subir des actes de violence et il est parfois difficile de s'en remettre. D'après lui, notre apréciation de la violence physique est exagérée du fait que, dans notre culture, la distanciation avec le corps grandit de jour en jour dans certains mileux privilégiés qui ont une action dominante sur les standards que nous adoptons. Ainsi, la violence physique est devenue un tabou et donc s'exprime par des formes plus abstraites mais non moins pernicieuses.

C'est certainement vrai -- il est évident que l'occidental moyen a plus peur de souffrir physiquement que, disons, un paysan du Moyen-Age ou même un habitant du tiers-monde -- mais néanmoins il me semble qu'il existe une différence capitale entre ces deux formes de violence.

La violence physique nous atteint dans notre corps, qui est peut-être ce que nous avons de plus personnel. Même si elle n'est que rarement donnée avec l'intention de tuer, elle nous touche dans ce que nous avons d'instinctif: notre instinct de conservation. A côté de cela, la violence verbale ou intellectuelle s'adresse à notre esprit, et la simple possibilité de songer à son esprit ne vient que lorsque notre survie physique est assurée, étant donné qu'il n'y a pas d'esprit sans corps.

De plus, le fait que notre corps nous appartienne est incontestable d'un point de vue éthique. Nous porter atteinte par ce biais, c'est violer notre intégrité d'une façon totalement immédiate. Alors que l'espace d'un échange verbal nous est fondamantalement plus distant, puisque c'est un espace qui n'existe que lorsqu'il est partagé et qui n'a aucun sens en dehors d'un contexte pluriel.

De là à dire que notre esprit ne nous appartient pas véritablement, il n'y a qu'un pas. En réalité, nos pensées, nos sentiments sont tellement tournés vers l'autre et necessairement relatifs à l'autre que nous ne pouvons pas réellement en revendiquer la propriété.

Ce qui est regrettable dans la violence verbale, c'est qu'elle nous pousse justement à nous fermer à l'autre, à agir dans le sens de notre individualité et au détriment de la construction collective. Et puisque notre seul avenir réside dans nos relations aux autres, nous sommes assurés d'en souffrir, c'est à dire d'être malheureux.

Mais à mon sens, il vaut mieux être malheureux de ne pas pouvoir partager que d'être pris par la menace physique et ainsi de ne pas pouvoir se poser la question. Les sentiments négatifs sont tout de même des sentiments, et il est préférable d'en avoir que de ne rien ressentir.

En réalité, le drame de la violence verbale réside dans le fait qu'elle se traduit en général par des conséquences matérielles: on ne peut être de cette façon victime que de ceux qui détiennent un pouvoir sur nous, et le pouvoir, quel qu'il soit, se traduit toujours par des contingences matérielles.

Que ce soit un enfant ou un conjoint qui soit prisonnier de la peur d'être jeté hors du foyer, ou d'un employé qui craigne d'être mis au chômage, la violence psychologique a toujours ses leviers dans le monde matériel. Quand on ne craint pas l'opinion négative de l'autre, aucun propos ne peut réellement nous atteindre. Si nous étions des entités abstraites dialoguant dans un monde immatériel, il ne pourrait pas y avoir de violence, parce qu'il n'y aurait aucune faiblesse, aucune vulnérabilité à exploiter.

Mais voilà, l'autonomie intellectuelle et éthique n'est accessible qu'à partir du moment ou on peut sortir, matériellement, de l'emprise de l'autre. Et ce n'est pas une chose qui est donnée, loin de là. En fait, en arriver à pouvoir croire ce que l'on croit sans crainte de représailles, c'est un accomplissement qui ne se fait que difficilement.

Publié dans Reflexions

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